Psychologies : Comment reconnaître un burn out ?
Patrick Mesters :
Il y a trois silos de symptômes :
L’épuisement physique, intellectuel et moral ; l’épuisement émotionnel, qui se caractérise par de la déshumanisation, du cynisme, une perte de l’empathie ; la perte de la satisfaction professionnelle.
Comment se manifestent ces symptômes ?
P.M. : L’épuisement physique repose sur une fatigue importante qui se révèle au fur et à mesure de l’évolution du problème. Cela peut durer des mois ou des années sans que les victimes ne s’en rendent compte, parce que ce sont des « durs à cuire ». Elles iront parfois consulter mais ne découvriront aucune raison médicale à leur fatigue. Et cet épuisement augmentera brusquement en force lorsqu’elles accepteront d’arrêter de travailler. Comme si une digue se brisait.
Il peut y avoir une cohorte d’autres symptômes :
douleurs chroniques, troubles du sommeil, troubles du rythme cardiaque, intestinaux, de concentration ou de mémoire, troubles de l’orientation spatiale…
Et l’épuisement émotionnel ?
P.M. : Il s’agit souvent de gens agréables, faciles à vivre, qui ont du mal à dire non. L’entreprise les adore parce qu’elle sait qu’elle peut compter sur eux. Lorsque l’épuisement émotionnel est trop fort, ils peuvent devenir agressifs, tendus dans leurs relations. Ce phénomène de déshumanisation provoque des rapports difficiles avec les clients, des tensions avec les collègues, de l’isolement, des rapports conflictuels avec les patients, les élèves, qui peuvent même déboucher sur de la maltraitance.
Vous évoquez aussi la perte de satisfaction professionnelle ?
P.M. : Ce sont des gens scrupuleux, qui ont le sens du devoir et des responsabilités et qui adorent leur métier. Ils se rendent compte que quelque chose ne va plus et se demandent s’ils sont encore à la bonne place. Une sorte d’autodisqualification s’installe. Certains iront jusqu’à proposer spontanément leur démission.
On entend souvent associer le burn out et la dépression.
P.M. : Quand burn out et dépression coexistent, la seconde fait souvent suite au premier. Mais tout le monde n’en est pas atteint. Quand la situation s’aggrave, elle peut évoluer vers toutes sortes de symptômes : dépression, troubles cardiaques graves, infections, idées suicidaires, allergies soudaines, flambées de psoriasis, cancers… C’est tout l’équilibre psychosomatique qui se rompt.
Il est alors trop tard ?
P.M. : Il y a de nombreux signes précurseurs mais bien souvent, la victime n’en est pas consciente, au contraire de son entourage. Les gens sont le nez dans le guidon, ils sont dans le déni. Ils vont courber l’échine et continuer, parce qu’ils ont l’habitude des coups durs, de supporter de grosses charges de travail. Ils vont minimiser. Rétrospectivement, ils se souviendront par exemple avoir eu des troubles du sommeil ou des infections à répétition. Un infirmier m’a dit un jour avoir consulté parce qu’un proche s’étonnait du ton agressif qu’il employait pour parler de ses patients. Il n’y a pas d’entrée type dans le burn out, d’où la complexité de l’affaire.
Jusqu’au « clash », à la rupture ?
P.M. : C’est un des scénarios. Certains disent qu’à un moment donné, ils n’ont plus été capables de se servir de leur ordinateur ou de conduire leur voiture. D’autres diront s’être réveillés un matin en sachant ce qu’ils avaient à faire mais incapables de bouger. C’est la rencontre soudaine avec un mur.
Quels sont les facteurs de risque ?
P.M. : Les personnes à risque se rencontrent dans tous les domaines. Elles sont perfectionnistes, ont souvent un fond anxieux, un niveau d’exigence supérieur à la moyenne, des valeurs, un idéal et des croyances : je ne peux pas dire non, je dois être fort, je ne peux pas déléguer, je dois aller vite, je dois être parfait… Cela peut toucher tout le monde, le cadre comme la standardiste, l’indépendant ou le médecin, l’enseignant ou le patron de PME. Conditions favorables : une latitude d’action et de décision très faible face à une charge et une exigence psychologique fortes. Et, au niveau de l’organisation du travail : l’absence de reconnaissance, la charge de travail, l’iniquité ou l’injustice, le non-respect des valeurs de l’entreprise, la perte de sens, le manque d’accès à l’information…
Quel est le mécanisme à l’oeuvre ?
P.M. : Le stress aigu provoque la sécrétion du cortisol, l’hormone du stress, qui augmente la fréquence cardiaque, la tension artérielle, la température et stimule le cerveau à mobiliser l’énergie du glucose pour organiser la contre-offensive. Quand le stress est chronique, le cortisol devient fou, il est sécrété de façon anarchique, inonde et attaque l’organisme, qui développe des maladies psychosomatiques : infections, allergies, cancers… Le cortisol attaque aussi les neurones, notamment au niveau de l’hippocampe, lieu de la mémoire et centre de l’orientation spatiale. D’où les troubles de la mémoire, de la concentration, de l’orientation…
On sait aujourd’hui qu’un corps soumis à un stress chronique va développer des réactions inflammatoires qui entraînent des lésions au cerveau et dans les organes, accélèrent le vieillissement, provoquent les insomnies, la dépression, les troubles cardiaques, ont un impact sur la libido, la fonction reproductrice, les hormones… On est loin d’un problème d’ordre simplement psychologique.
Comment s’en sort-on ?
P.M. : Ce processus s’apaise lorsque le stress s’en va, au repos, à l’exercice physique, avec des antidépresseurs naturels… Il faut impérativement s’arrêter, souvent pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Consulter. Et prendre du recul par rapport au travail, éviter les contacts même avec ceux qui prennent de vos nouvelles. Si vous reparlez du travail, vous risquez de ne pas pouvoir cicatriser. Il faut un accompagnement pluridisciplinaire dont le médecin traitant doit être le chef d’orchestre. Voir un psychologue, de préférence comportementaliste. Ensuite, le coaching pourra aider à reconstruire un projet professionnel, à se préparer au retour.
Et en amont, avant d’en arriver à cette extrémité ?
P.M. : Il faut rester attentif à tous les symptômes évoqués au début de notre entretien. Et veiller à avoir une activité sportive, une vie sociale, des hobbies, à bien manger, apprendre à dire non, gérer son temps, ses priorités… Avoir une vie spirituelle peut aider, tout comme la sophrologie et la méditation. C’est une éducation qui entraîne aussi de faire des choix, des renoncements.
Le burn out sous-estimé ?
Les chiffres divergent. Une récente étude du SPF Emploi estimait que 0,19 % de la population belge est concernée. D’autres études, en Hollande et en Suède, affirment que 6 à 9 % des populations sont touchées par le phénomène d’épuisement professionnel, avec des pics dans certains secteurs d’activités.
Le Dr Mesters ne se prononce pas sur les chiffres, mais il considère qu’un médecin généraliste sur deux est en burn out en Belgique. Qu’il y a jusqu’à 60 % d’épuisement émotionnel et de déshumanisation chez les infirmières. Pareil chez les enseignants. Le burn out n’est pas reconnu comme maladie professionnelle, bien qu’il provoque d’importants problèmes de santé chez ceux qui en sont victimes.
Faire le deuil
La fameuse « courbe du deuil » établie par la psychiatre française Elisabeth Kübler-Ross s’applique parfaitement au burn out. Les réactions des victimes passent par plusieurs stades, étalés sur une période plus ou moins longue.
Patrick Mesters est neuropsychiatre et directeur de l’institut européen d’intervention et de recherche sur le burn out:www.burnout-institute.org Il est aussi le co-auteur du livre Le Burn Out – Comprendre et vaincre l’epuisement professionnel, co-écrit avec Suzanne Peters (Ed. Marabout, N. 1964).
Merci à AMESSI.ORG pour ce bon article ;-)
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